« Pour la première fois, nous avons inclus au sein d’un même règlement les dispositions techniques, sportives et financières. »
Des coûts qui explosent, des courses au déroulement trop prévisible et des inégalités toujours plus criantes entre les équipes, autant de facteurs qui auront écorné l’image de la Formule 1 au cours de ces dernières années. Le nouveau propriétaire, Liberty Media, a beau affirmer que la F1 attire toujours plus de monde sur les circuits et devant la télévision, la réalité lui impose un démenti flagrant. En Europe, son berceau, la catégorie reine du sport automobile est bien loin d’exercer la même fascination que par le passé. Sans compter que les maîtres à bord ont longtemps eu les mains liées pour introduire de nouvelles règles. Cet état de fait est dû aux accords Concorde, héritage de l’ancien patron Bernie Ecclestone et encore en vigueur jusqu’à la fin 2020. Pour Liberty Media et la FIA, pas question d’aller au-delà d’un simple toilettage du règlement jusqu’à 2021.
Grand chambardement
La grande révolution est donc annoncée. « Pour la première fois, nous avons regroupé la technique, le sport et le financement au sein d’un seul et même règlement », se félicite le patron de la FIA, Jean Todt. « Nous assurons ainsi à la F1 une base durable. » Il a fallu deux ans exactement pour parvenir au texte définitif, qui a connu pas moins de 13 moutures avant d’être unanimement approuvé le 31 octobre 2019 par le Conseil Mondial de la FIA, où Ferrari est la seule écurie à siéger. Les architectes de cette nouvelle Formule 1, Nikolas Tombazis, ancien de chez Ferrari, et Pat Symonds, auparavant sous contrat chez Renault, se disent fiers du résultat. Même si les critiques estiment que leur règlement est trop contraignant et parlent avec dédain de « GP1 », sorte de F1 uniformisée.
Les rédacteurs des nouvelles bases se sont fixé deux impératifs clairs : réduire les coûts et faciliter les dépassements. Le premier objectif sera atteint par un plafonnement des budgets. Ross Brawn, directeur technique de la F1, justifie : « la Formule 1 a été victime de son succès et les dépenses ont atteint des niveaux insoutenables. Il fallait protéger les écuries contre elles-mêmes. » A partir de 2021, une écurie ne pourra plus dépenser « que » 175 millions de dollars par saison. Toutefois, ce montant n’inclut pas la rémunération des pilotes (jusqu’à 45 millions $), celles des trois plus hauts salaires (jusqu’à 15 millions $), les coûts de motorisation (jusqu’à 15 millions $), les frais de transport et de fret (jusqu’à 20 millions $) et le budget marketing. En réalité, le plafond effectif des top teams tournera plutôt autour de 250 millions.
Dans le rôle du gendarme, c’est une société basée à Zurich, Deloitte, qui sera chargée dès cette année de vérifier les dépenses des écuries pour lui permettre de se familiariser avec l’exercice. Naturellement, aucune mesure ne sera prise en 2020 en cas de dépassement, mais dès 2021, toute infraction sera passible de sanctions draconiennes. On évoque la possibilité d’un retrait de la licence constructeur, voire de la perte du titre mondial. Cela dit, le chiffre de 175 millions de dollars n’est pas gravé dans le marbre : la FIA se réserve le droit de le réviser en cas de besoin à partir de 2024.
Pour répondre à la seconde priorité fixée par les rédacteurs du règlement, la technique a été remise à plat. Bon nombre d’éléments ont fait l’objet d’une standardisation, une approche inédite pour la F1. Par le passé, chaque pièce était spécifiée en fonction des dimensions, du poids ou des caractéristiques techniques. Désormais, la voiture est découpée en 50 « cases de conformité » selon un système de coordonnées X-Y-Z. Certaines cases autorisent toute latitude, tandis que d’autres imposent des règles strictes. « Nous ne voulons plus aucune zone d’ombre », insiste Pat Symonds.
Biomasse
Visuellement, la F1 du futur est épurée à l’extrême. Les déflecteurs latéraux ont disparu, les ailes avant prolongent à nouveau le nez du véhicule et le soubassement bénéficie d’un large diffuseur et de divers tunnels, de quoi remettre au goût du jour l’effet de sol banni en 1982. La FIA table sur une déportance accrue d’environ 20%. Cette mesure, associée à un gain de poids total de 25 kg, se devrait se traduire par une baisse des chronos au tour pouvant aller jusqu’à 4 secondes en fonction de la longueur du circuit. Côté aérodynamisme, le nouveau règlement présente l’avantage de mieux canaliser l’air vers le haut, ce qui permettra aux pilotes de se suivre de plus près. L’appui passera ainsi des 32 % actuels à 6 %. « Avec cette nouvelle configuration, les turbulences seront nettement moindres à trois longueurs de voiture du pilote de tête », annonce Pat Symonds.
Au rayon des motorisations, la Formule 1 continuera de miser sur l’actuel 6-cylindres turbo (1,6 l) aidé de deux moteurs électriques. Dès 2021, le carburant devra cependant être composé à 20 % de biomasse. Cette proportion sera également appelée à augmenter dans les années suivantes, l’objectif étant d’arriver le plus tôt possible à la neutralité carbone du carburant.
Format compact
Le format de chaque course va aussi évoluer en passant de quatre à trois jours. Un week-end typique de Grand Prix commencera donc le vendredi matin avec les vérifications techniques. Là encore, la diminution des coûts est le principal argument évoqué, mais le championnat pourrait malgré tout s’étoffer avec 25 courses par an devant l’engouement de nombreux organisateurs potentiels. Reste à voir si le serpent ne se mordra pas la queue. Les teams renâclent déjà avec 21 épreuves annuelles.
Bref, le nouveau règlement de la F1 n’a pas fini de faire couler de l’encre et devra impérativement être peaufiné. Le point positif ? Liberty Media et la FIA annoncent enfin la couleur. C’est la seule solution pour garantir l’avenir de la F1.
Texte: Christian Eichenberger